La mode à pleines mains.
« Seconde main », « petites mains », « main » du tissu... Le langage, têtu, nous rappelle ce que le récit enchanté de la mode efface souvent soigneusement : ce lien si intime entre la main, la couture et le vestiaire. Comme si le vêtement pouvait exister sans les gestes qui le taillent, l’assemblent, le fabriquent ; comme si une robe se portait sans mains pour la boutonner ou l’arranger ; comme si nos mains – baguées, gantées, manucurées ou abimées – étaient une part un peu négligeable du corps de mode. La féérie de la mode requiert d’en oublier le prosaïque, le laborieux, les ajustements permanents. Elle tient en de somptueuses silhouettes sans contingences, dont certaines parts seulement sont mises en gloire : jambes, seins, visages, tailles, bras parfois... Les chercheurs eux-mêmes, accompagnant le mouvement à leur façon, ont rarement regardé les mains, que ce soit en leurs gestes travailleurs ou leurs parures exhibées. Comme si, par leur évidence, elles risquaient de gâcher la poésie des apparences. L’idée d’intelligence de la main a certes nourri nombre de débats depuis Aristote, tout comme la question des liens entre main et outils ; et l’on peut observer un regain d’attention pour les artisanats, les techniques et les manières de faire. Tout cela n’efface pas un insistant mystère : ce que la mode doit et fait à nos mains. Modes pratiques : ce sixième numéro l’est donc sans doute comme jamais. En son cœur, en effet, des techniques et des gestes : broder, tisser, coudre, tricoter, confectionner de la dentelle, fabriquer de la maille, repriser, travailler le cuir, tatouer, façonner des gants... Tout l’envers du décor et le hors champ s’y dévoilent. Et, avec eux, des femmes et des hommes, artisans de métiers perdus ou négligés – brodeurs ou maroquiniers, tisserands ou ouvrières de l’aiguille – et des industries peu souvent racontées : ganteries de Millau ou premières fabriques de gants de boxe. Leur histoire y est relatée, par les mots des travailleurs ou ceux des chercheurs, qui disent les façons de faire, les apprentissages, les blessures et les joies. De mains en mains, se tisse ainsi un récit industrieux, social et symbolique. S’y révèlent les parentés techniques des gestes de la mode avec ceux de peindre ou de cueillir, et la fertilité intellectuelle de la pratique pour celles et ceux qui l’écrivent. S’y lisent les pouvoirs d’émancipation ou d’affirmation d’un savoir-faire – pour les femmes tatoueuses et tatouées de l’hôpital Broca ou pour des détenus en Angleterre. S’y raconte la force symbolique des gants et de leurs usages codifiés, jusqu’à leur contemporaine disparition. S’y lit le récit social délivré par les mains contrôlées des domestiques ou meurtries des ouvrières et ouvriers. S’y montre aussi la portée poétique et métaphorique des mains mises en scène dans la littérature et au cinéma. Car les jeux de mains et du vestiaire ont une histoire : où placer ses mains dans l’Antiquité romaine, en ces temps sans poches cousues ? Comment jouer de ses mains et de ses manches en cours d’assises ? Que signifiait retrousser sa robe au XIXe siècle ? Quel sens donner aux poses des mains dans le magazine Vogue ? Comment voler, d’une main habile, dans les poches ? Sans toutes ces mains, pas d’histoires de mode. À l’heure où nous achevions ce numéro, Farid Chenoune nous a quittés. Ce que la revue lui doit, depuis sa création il y a dix ans, est sans mesure. Ce numéro, le premier achevé sans Farid, lui est dédié. |
480 pages, 371 images et documents, 36 articles et portfolios qui mêlent analyses, enquêtes, entretiens, fictions et archives.
Imprimé en noir & blanc. Format 17x24cm. Numéro coordonné Corinne Legoy, Marjorie Meiss, Manuel Charpy et Patrice Verdière Date de parution : janvier 2025 Conception graphique : Patrice Verdière. Imprimé en France imprimerie Corlet prix de vente : 18 euros ISBN : 9791095518358 Comment acheter le numéro :
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